Mars - Avril 1999
Association Passerelle
Centre d'art

Décembre 1995
Professeur de philosophie et d'histoire de l'art

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au départ et à l'arrivée, il y a l’œil. Celui de Suniti Jiban Chakma est si récurrent dans son travail que sa présence en est obsédante. Parfois, il est esthétisé jusqu'à l'idéogramme, s'effaçant pour permettre au spectateur de se laisser engouffrer par les images qui le submergent et l'inondent. D'autres fois, il se dédouble mais toujours il demeure l'instrument symbolique du regard... Il est multiple parce que sa porté est infinie, tributaire des innombrables visions qu'il imprime objectivement, des plus fugaces aux plus constantes. Pourtant, tout comme il balaie l'univers dans lequel il baigne, il est balayé a son tour par le geste de l'artiste qui souhaite en transcender la portée. Il lui fait voir ailleurs s'il est capable de saisir une impression abstraite qui ne soit pas du monde réel. Inscrit dans le cadre restreint de l'espace dans lequel le peintre travaille, le regard devient porteur d'une autre vision, intérieure celle-là, parfaitement subjective et arbitraire. Suniti Jiban Chakma peut décliner ses regards en milliers de combinaisons, en altérer et en varier l'intensité au gré de ses humeurs et de sa fantaisie. Ils intègrent alors à chaque fois une zone changeante, mobile et éphémère...

Et Suniti Jiban Chakma baptise accessoirement certaines de ses conception sérielles ("Green form", Power of red"), ce n'est pas dans le but d'inspirer une interprétation mais pour indiquer de façon prosaïque le sens esthétique de sa recherche sur un travail bien précis.

Suniti Jiban Chakma et aujourd'hui titulaire de diplômes délivrés par les Beaux-Arts de Dhaka (Bangladesh) et de Rennes. Il prépare actuellement un Mastère Multi Media (diplôme de 3ème cycle). C'est ainsi qu'il consacre un CD-ROM documentaire et artistiques à la province montagneuse et escarpée du Bangladesh dont il est originaire. Ce site à la double vocation ludique et pédagogique permet la découverte de la langue, de l'alphabet, de la musique traditionnelle au travers desquels s'exprime une minorité de 700 000 personnes...
Ateliers d'artistes au mans en sarthe
Éditions Puls'Art Le Mans 2001

René Guyomarc'h

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'exposition de printemps rassemblant six plasticiens d'origine asiatique : Nguyen Cam et Hung Rannou du Viêt-nam, Hachiro Kanno du Japon, Eunji Peignard Kim Corée du Sud, Suniti Jiban Chakma du Bangladesh et Maya Mémin, dont les trait rappellent un lointain Cambodge, établit encore des similitudes entre leurs œuvres. Les réunir sous la bannière de l'Asie peut paraître une évidence, or ce n'est pas le véritable propos de l'exposition, même si leur lieu d'origine l'a motivée.

Ce choix vise surtout à mettre en lumière le mimétisme que la peinture occidentale a exercé sur leur travail, lorsqu'ils se sont exilés en Occident ou ont choisi d'y vivre. La relation spéculaire entre l'Asie et l'Occident est le réel enjeu de cette exposition.

Elle peut apparaître comme un clin d’œil au poète brestois Victor Segalen, qui a mené en Chine une réflexion sur la peinture. Faut-il voir dans cette escale asiatique un parcours inversé, un jeu de miroir ? Peut-être pas, mais la tentation est grande, tant leur démarche semble converger et mettre en lumière leur singulière et latente orientalité.

La peinture occidentale a donc modifié leur manière de peindre : les matériaux utilisés et les couleurs ont changé dans le travail de Nguyen Cam et de Maya Mémin, ou le motif chez Peignard Kim. Parfois l'engagement politique s'est évanoui. Ainsi la peinture de Chakma à son arrivée du Bangladesh était violente et militante. Ses toiles représentaient des êtres à demi-enfouis, sous un magma tourmenté de couleurs vives. Ils paraissaient ainsi mutilés par une réalité politique insoutenable. Loin des turbulences de son pays et au contact de la peinture contemporaine, Chakma s'est peu à désengagé de toute dénonciation humanitaire pour s'orienter davantage vers une peinture plus épurée, gagnée par une géométrisation du motif et des aplats de couleurs virides.

Alain Le Beuze,


    
Texte de Richard Crevier




 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est difficile d'évaluer la peinture de Suniti Chakma selon les catégories esthétiques prévalentes actuellement parce qu'elle n'appartient à aucune tradition picturale définie. Disons qu'elle était, globalement, d'inspiration expressionniste, bien que cela soit en train de changer.
Les premiers tableaux de Chakma s'inspiraient d'une double démarche : abstraite et figurative à la fois, dans laquelle le propos revendicatif "engagé", (Chakma est originaire d'une tribu bouddhiste persécutée au Bangladesh) était comme immergé dans l'acte de peindre sans se trouver pour autant esthétisé. Il en résultait des tableaux de facture moderniste où la représentation était à la fois affirmée et recouverte dans le geste expressionniste.

Cette démarche ambivalente, en quête d'une synthèse, naturellement impossible, produisit l'effet contraire à celui recherché - comme cela était à prévoir. On assista donc chez Chakma à une autonomisation des élément : le matériau devenait toujours davantage conscient de lui-même tandis que les valeurs représentatives tendaient vers une forme plastique de plus en plus transformée en signes purs ayant une stricte fonction picturale et plus du tout narrative ou anecdotique.

D'un côté, donc, un matériau "brut" (l'art de Chakma n'est pas du tout "sophistiqué", il n'a pas de glamour commercial, il conserve une marque artisanale qui rappelle la peinture moderniste classique); d'une autre côté, les intentions expressives : Chakma maintient les termes de la contradiction hors de toute conciliation esthétique. Tout pouvait sortir de cette aporie picturale.

Or, Chakma ayant une authentique disposition artistique, il est en train de naître quelque chose dont les esprits chagrins refuseront de voir l'originalité et la force sous l'apparence du "déjà-vu". Chakma fait en effet éclater l'espace pictural sur un mode sériel soutenu par un résidu de représentation anthropomorphique (l’œil) inscrit sur un fond à tonalité monochromique, le signe (rapide tracé gestuel) débordent le champ du tableau, le désignant rétroactivement mais l'annulant en même temps, le faisant voir pour ce qu'il est devenu sous ce procédé : un fond. C'est ce travail de dissociation du matériau qui entraîne l'autonomisation quasi analytique des éléments chez Chakma.

On dira que tout cela a déjà été fait par les Américains, entre autres. Dans la théorie, certes. Mais, dès que l'on passe d'un champ culturel à un autre (et ici nous sommes dans l'européen), des problèmes posés et résolus ailleurs demeurent encore inédits. Une œuvre est toujours singulière et, comme nous le disions, Chakma a un véritable tempérament de peintre : il est travailleur, d'esprit indépendant (il n'écoute personne, ce en quoi il a raison), curieux et attentif, peu bavard, concentré et très ambitieux. Il a tout pour réussir. Étant de surcroît d'origine orientale, toutes les problématiques évoquées en vrac ci-dessus, et au milieu des-quelles évolue son work in progress, sont ressaisies par lu avec une vigueur et une détermination peu communes : il épelle, avec une extraordinaire lucidité artistique, l'alphabet de l'art moderne pour en tirer un langage neuf. Gageons qu'il réussira.

Décembre 1995
Professeur de philosophie et d'histoire de l'art.
Auteur de roman : Un Étrange Animal
Édition de la différence  

 

Critiques

Power of Red
Red line

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